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    Un jour, un sage astro-physicien chinois et athée mourut. 
    Tout surpris, il se retrouve à la porte du Paradis.
    Le Paradis, pense-t-il, cela existe-t-il donc ?
    N’osant franchir le seuil, il frappe.
    - Une seconde, et je suis à vous, dit une voix.
    Une seconde de paradis, c’est une seconde d’éternité. 
    Au bout d’un incertain temps, la voix apparaît :
    - On m’appelle Simpière. Qu’y a-t-il pour votre service ?
    - Je ne comprends rien, Simpière. Je suis mort, je m’en souviens très bien,  ma famille m’a fait des adieux touchants, nous avons pleuré ensemble. Et voilà que je continue à me sentir vivant...
    - Vous n’êtes pas le seul à avoir cette réaction. Entrez donc et installez-vous où vous pensez être le mieux.
    - C’est que... je ne crois pas au Paradis.
    - Ah !
    La voix réfléchit un moment. Venez avec moi, ajoute-t-elle.
    Pas facile de se déplacer lorsqu’on n’a plus de corps. Moins facile encore de suivre une voix, aussi chaleureuse soit-elle.
   Après quelques essais infructueux, notre athée se trouve propulsé dans un brouillard vide et lumineux. De temps à autres, cependant, il ressent des sortes de salutations émanant de formes à peine perceptibles.
    - Le Paradis est-il si vaste qu’on y rencontre si peu de gens, interroge-t-il ?
   - Le Paradis est très peuplé, au contraire. Seulement vous ne rencontrerez que des personnes avec lesquelles un dialogue vous sera possible. Il s’agit d’une sorte de tri naturel d’affinités.
   Devant la grimace manifestée par le visiteur, la voix ajoute:
   - Affinités de toutes sortes ; vous pouvez tout faire et, pour peu que votre esprit vous y incite, vous verrez surgir de nombreux êtres désireux d’entrer en relation avec vous.
   - Comment ça ? je ne pige que couic, répond l’athée, espérant, par ce langage populaire, faire baisser la hauteur des propos de Simpière.
   - Vous verrez à l’usage. Dès qu’un centre d’intérêt vous est commun avec une ou plusieurs des personnalités habitant ce monde, aussitôt ils se manifestent à vous.
   - Et réciproquement ?
   -Bien sûr.
   - Alors, pourquoi n’en vois-je que si peu ?
   - Parce que vous n’êtes pas encore revenu de votre surprise de trouver un autre monde après votre décès. Vous pensiez ne rien trouver, alors vous ne trouvez rien. Regardez bien, rendez-vous disponible. Lâchez-prise, comme on dit dans votre Occident.
   Notre sage ferme ce qu’il pense être ses yeux.
   Stupeur ! Mars,  Vénus, Pluton... le voilà à l’intérieur du monde que son petit télescope ne lui avait permis d’approcher que de si loin.
   Quelle splendeur !
   Une infinie succession d’infinis illimités s’étend à longueur de regard, tout est là, en même temps, et lui au milieu.  Bientôt des sons s’élèvent... «la musique des sphères !» s’exclame-t-il. Tout ce dont il avait entendu parler sur terre sans vouloir y croire se manifeste à sa présence. Des réminiscences lui viennent, aussitôt représentées ; il voit des anges aux ailes européennes, des dragons salvateurs, des âmes...  oui, il voit des âmes. Comment les décrire ? Impossible. Du reste, il ne pense même pas à le faire.
   - Parmi toute cette beauté, il perçoit également des sortes d’enclos grisâtres. 
   - Et ces petites choses tristes ?
   - Ah ! Vous les voyez aussi, dit la Voix étonnée. Ce sont des purgatoires. Approchons-nous sans faire de bruit car ceux qui vivent derrière n’aiment pas être dérangés.
   - Purgatoires, dîtes-vous, s’agit-il de religieux ?
   - Pas forcément. Ce sont des humains qui ne croient qu’à leur propre vérité. Ils se retrouvent entre eux. Comme ils sont encore imbibés de la hargne qu’ils possédaient sur terre, il a été décidé de les enclore de façon que leurs effluves haineuses ne polluent les ambiances plus légères. On ne sait pas très bien comment ils s’arrangent entre eux. Cependant, dès que certains comprennent qu’il existe d’autres façons d’envisager la Vie, ils s’aperçoivent que leurs murailles sont poreuses et, chacun à son rythme, ils s’extirpent de ce lieu où ils commençaient à se sentir à l’étroit. Je suis surpris que vous les voyez... cela voudrait-il dire que vous vous sentez concerné ?
   - Disons que, étant scientifique, j’ai l’habitude de me poser toutes sortes d’interrogations.
   - Je vois. Vous avez l’esprit large, vous allez très vite être très occupé. Maintenant je vous quitte, il y a beaucoup à faire avec tous ces nouveaux venus issus des guerres fratricides
   - Une minute encore, s’il vous plaît Simpière. Paradis, purgatoire, dîtes-vous, alors il doit y avoir aussi un enfer ?
   - Enfer, c’est l’abréviation d’enfermement. D’où la nécessité de ces autres lieux entourés de flammes rouges là-bas. 
   - Où ça ?
   - Ne cherchez pas, c’est que vous ne pouvez pas les voir.
   - P
arce que je n’y crois pas plus qu’au Paradis. Maintenant que je constate que le paradis existe, peut-être me faudra-t-il croire aussi à l’enfer ?
   - Sûrement pas. Ne s’y trouvent que ceux qui, sur terre, ont cru le mériter. Comme ils n’ont plus de corps, ils ne brûlent pas vraiment ; ils souffrent surtout de solitude, de rancoeur ou de tristesse dont il est quasi impossible de les extraire.
   - La géhenne...
   - Oh ! On raconte beaucoup de choses sur terre... Il faut vous dire que, malgré sa béatitude légendaire, la vie au paradis n’est pas statique, bien au contraire. Aussi, au bout d’une immense ressasse, s’ils n’ont toujours pas compris, des entités spécialisées viennent les aider à se réincarner. Généralement ils choisissent une famille qui leur permettra de défaire les blocages dont ils n’ont pas réussi à se débarrasser durant leur période de développement. Maintenant je me sauve. Adieu.
   Après le départ de Simpière, les cieux semblent s’emplir d’êtres s’inclinant devant notre sage athée, chinois et astrophysicien. Cela dure le temps de la salutation, ensuite les êtres s’effacent lentement. Prélude à ce qui m’attend lorsque je serai habitué, pense-t-il, c’est sagesse de leur part. Ou respect, peut-être .
    Ces événements engendrent une étrange sensation : curiosité émerveillée, perception immédiate d’une pensée inédite, impression d’une extrême liberté.
    Un dialogue lu dans un roman français lui revient en mémoire :
   - Dis-lui !
   - Ce que j’ai pensé, ou ce que nous avons pensé ?
   - Ce que nous avons pensé. Il faut être deux pour penser. Sans ami, aucune pensée ne se construit.
   Il se sent investi de pouvoirs immenses. Océans d’informations, rivières de savoirs, gouffres de sagesse se catapultent, s’organisent, se désorganisent pour renaître autrement...
   Il convient surtout de ne pas se raccrocher à ses souvenirs terriens sous peine d’être soumis à un déséquilibre désagréable. Tant pis pour mes réflexes acquis, tant pis pour tout ce que j’ai appris. Ok pour le Paradis, accepte-t-il.
   - Ce n’est qu’un moment à passer, télépathe une forme, histoire de te débarrasser de tes préjugés. Puis tu te souviendras à nouveau de ton séjour sur le plancher des vaches. Nous sommes très heureux de ta montée dans nos nuées. Tu as tant de choses à nous apprendre !
   - Moi ?
   Ce simple mot l’entraîne dans une succession d’existences dont il se rappelle avoir été le sujet. Son esprit lui suggère l’idée de vies antérieures. Aussitôt démentie par ses entourants : vie antérieure est une notion humaine puisque les terriens pratiquent le temps linéaire. Tu es tout cela en même temps, saupoudré de la couleur originelle. C’est pour cela que tu nous es si précieux.
   Une intense activité spirituelle s’élabore, discussions entre confrères... rencontres avec d’étranges entités... intelligences aux formes animales, végétales, voire minérales...
   Bientôt il ne s’étonne plus de la masse de savoirs qui l’habite, ni de la facilité des échanges. La rigueur dans les termes l’émerveille. Déjà sur terre, c’était un de ses leitmotive ; ici, cela devient un jeu subtil et jouissif.
   Lorsque les avis diffèrent sans accord possible, cela produit des flashs colorés. Ces flashs sont ramassés, soignés, et donnent naissance à de futures étoiles.
   Avec ses nouveaux collègues, il part en expédition, travaillant à la modification de ses vibrations afin de s’adapter à celles des lieux à visiter après que les explorateurs de l’espace leur en aient rapporté la fréquence.
    Pacifique durant son humanité, notre héros ne nous entraînera jamais dans des éclats planétaires ou des guerres d’étoiles. Tout juste s’il traverse rapidement les hôpitaux cosmiques, histoire de repérer quelque compagnon d’antan, mais il ne s’attarde pas dans des lieux qui lui étaient désagréables autrefois.
   Pour se tenir au courant de l’évolution cosmique, son équipe gravite parfois autour de la terre ; cela lui est douloureux parce qu’il voit combien belle aurait pu devenir ce pauvre monde pollué particulièrement chère à son coeur.
   Dans son habitude croissante d’un langage multiple, notre ami oublie progressivement la langue terrienne. Vous venez de constater une anomalie grammaticale, il en fait de plus en plus souvent.
   Quant à nous, nous avons de plus en plus de mal à percevoir ses émanations. Car, bien qu’il nous ait fait comprendre que nous faisions partie intégrante du cosmos en expansion, nous n’avons pas réussi à modifier suffisamment nos habitudes mentales.
    Une comparaison du processus qu’il conviendrait d’effectuer pour continuer la relation se trouve dans les images de l’Oeil Magique*, instant subtil et joyeux nous immergeant dans un monde invisible et pourtant perceptible.
   Aussi avons-nous décidé de clore momentanément cette chronique.

Comibel (2/10/2009)

* Images tridimensionnelles de Tom Bacci N.E. Thing Interprises Ed JA&T Paris 1994

 

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