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Mythologies américaines

Légendes d'automne de Jim Harrison

La première légende s’intitule Une vengeance et son premier héros s’appelle Cochran.
On le retrouve agonisant dans le désert mexicain entouré de coyotes et de vautours. Sauvé in-extremis par un paysan et sa fille, il est soigné dans une mission par le docteur Diller.
C’est un tennisman, ex-pilote de chasse.
Trois semaines plus tôt, Cochran est devenu l’amant de Miryea, la femme de Tibey (diminutif de Tiburõn, requin en espagnol) un parrain de la mafia mexicaine. Ayant été informé de l’adultère, le parrain passe à tabac le tennisman, le laisse pour mort, et humilie sa belle jeune femme d’origine catalane et guatémaltèque.
A la mission, allongé sur un lit, Cochran panse ses blessures et ourdit sa vengeance.
En un décor de crotales et de scorpions, de santiags et de limousines rutilantes, Jim Harrison nous donne rendez-vous au coeur de l’Ouest américain fin XXème siècle. On est dans l’arène des hommes avec des héros habités par le doute, la vengeance et la violence. On ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour le Far-West d’Huckleberry Finn de Mark Twain.
Si le premier court roman de ces légendes est marqué par la bêtise humaine et la haine, sa fin sera poignante. Au terme d’une rédemption salvatrice les personnages parviennent à domestiquer leur violence.

La seconde légende « L’homme qui abandonna son nom », met en scène Nordstrom, un homme de 43 ans qui a pris l’habitude de danser  seul dans la nuit. Il est le président à « la réputation de gestionnaire impitoyable » de la StandardOil of  California.
Hélas, sa prodigieuse réussite matérielle, n’est que le vernis clinquant d’une misère intérieure profonde et cet édifice existentiel se lézarde. C’est d’abord le divorce avec sa femme Laura, alors que Sonia, sa fille, est à l’université.
Il passe alors en revue sa vie « qui n’a été rien d’autre qu’une accumulation d’actes quotidiens sans cesse répétés ». Il démissionne de son poste de président, donne tout son argent et ouvre un journal.
Sa vie bascule.
Face à lui-même, Nordstrom n’est pas sans ressources. S’il a dénié toute sa vie les sentiments humains les plus élémentaires, il s’interroge. Qui suis-je au fond ? Réellement ! Et pourquoi cette vie-là ?
Au cours de son aventure autoanalytique, « il jette un coup d’oeil sur les choses » et dresse la liste des petits bonheurs qu’il a oublié de saisir et nous les livre un à un. Et s’ils sont les siens, ils sont aussi un peu les nôtres.
Ses états d’âme varient entre la fascination et la félicité ; homme en rupture, il devient un genre de mystique.
Il danse seul dans la nuit.
La mort de son père tant aimé va être une épreuve supplémentaire qu’il devra dépasser.
Jim Harrison raconte la vie d’un homme beaucoup trop civilisé, soumis à la pression implacable du monde en terme de réussite. Hélas, le vernis a fini par se craqueler, et la construction artificielle s’est dissoute à vau-l’eau.
Nordstrom est le deuxième héros de ces légendes.
La narration est une fois de plus dépouillée, concise ; elle nous offre à lire la métaphore d’une existence qui ne nous est pas toujours étrangère. 

Et voilà Légendes d’automne.
Trois frères, Tristan, Alfred et Samuel quittent à cheval leur ranch natal du Montana et se rendent à Calgary, au Canada, afin de s’engager comme combattants de la guerre 14-18 ; ils sont accompagnés par « Un coup », un indien Cheyenne homme à tout faire du ranch qui doit ramener les chevaux.
Resté seul, leur père William Ludlow, 64 ans, ingénieur des mines et spécialiste des affaire indiennes, fait le bilan de sa vie.
Dans les Ardennes, Samuel le cadet, est tué au cours d’une mission de reconnaissance. La vengeance de Tristan est immédiate, il tue sept Allemands, et sept scalps blonds viennent orner les piquets de sa tente.
Après la guerre, la vie reprend son cours. Des trois frères, Tristan a toujours été le plus aventureux, il est le personnage emblématique de ces légendes d’automne.
E
nfant ingouvernable, éduqué dans les grands espaces à l’école du Cheyenne « Un coup », il est une force de la nature. S’il est instinctif et violent, c’est aussi quelque part un grand affectif.
Il se marie avec Susannah, devient capitaine du schooner de son grand-père pour le compte de la US Navy au service de l’Angleterre. Après sept années d’aventures sur les océans du monde, il revient au ranch… Il divorce, se remarie et puis trafic d’alcool, il tue deux Irlandais, prison.
Avec Légendes d’automne, Jim Harrison nous raconte les terres immenses de l’Ouest américain, à défricher, à topographier, terres verglacées l’hiver, surchauffées l’été, peuplées d’indiens, de bisons, parcourues de tornades et de sauterelles. Il nous raconte le ranch « Ludlow » et ses 8000 hectares point central de solitudes qui s’entremêlent et finissent par former une grande famille.
Il nous relate les rêves de dynastie que l’on peut y fomenter, tant ces espaces font penser à de petits empires.Absalon, Absalon ! et l’histoire d’un certain colonel Sutpen, n’est pas si loin, de même Karamazov et ses trois fils. La littérature, d’auteur à auteur, se répète, que l’on soit au fin fond de la steppe russe ou dans le Montana.

Goûtez à ces légendes fortes, habilement écrites. Elles sont un hymne à la gloire des héros américains. Jim Harrison emballe notre imaginaire en un de ses plus beaux livres.

Patrick Ottaviani (11/11)

 

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 Légendes d'automne

Jim Harrison est né le 11 décembre 1937 à Grayling dans le Nord du Michigan dans une famille de cinq enfants. Sa mère était d'origine suédoise. Son père était agent agricole. A 8 ans, il perd son œil gauche lors de jeux avec une petite fille. A 16 ans, il décide de devenir écrivain.

 En 1960, il obtient sa licence de lettres. En 1962 son père et sa sœur Judith meurent dans un accident de voiture.
Il rédige des articles de journaux, en même temps que sont publiés ses premiers romans et ses recueils de poèmes. Après sa rencontre avec Jack Nicholson, il écrit de nombreux scénarios de films et adaptent certains de ses livres au cinéma.
En 1978, il rencontre le succès avec Légendes d’automne. Suivront Sorcier, Faux Soleil, Dalva
Jim Harrison a publié près de trente livres. Il est considéré comme l’un des plus grands auteurs américains de notre époque.

 

Jim Harrison

Jim Harrison raconte la vie d’un homme beaucoup trop civilisé, soumis à la pression implacable du monde en terme de réussite. Hélas, le vernis a fini par se craqueler, et la construction artificielle s’est dissoute à vau-l’eau.
Nordstrom est le deuxième héros de ces légendes.


Jim Harrison

J’ai besoin d’entendre une serveuse me parler de ses problèmes avec sa Plymouth 1985. J’ai besoin de voir une jeune fille en robe verte remplir elle-même son réservoir d’essence par un après-midi torride du Nebraska. J’ai besoin de rendre visite à des clubs de strip-tease paumés où les femmes sont presque aussi moches que moi. J’ai besoin de l’insécurité des tempêtes de neige ou d’une voiture surchauffée quand il fait trente-neuf degrés à l’ombre dans le Kansas, de l’insécurité du cœur et de l’esprit tâtonnants loin de leur milieu habituel. Il est trop facile d’être sûr de soi, trop facile de savoir à tout instant ce qu’on fait, trop facile d’emprunter sans cesse le même chemin jusqu’à ce qu’il devienne une profonde ornière qui bientôt devient à son tour une tranchée insondable où vous ne voyez plus rien au-dessus du bord. Jim Harrison